Lettre ouverte portant sur les dispositions modificatives apportées avec le projet de loi N°7897 de la loi Covid

Me Christian Bock

Maître Christian Bock, Avocat à la Cour, membre du Barreau de Luxembourg depuis 2012 est conseiller juridique et s’est spécialisé dans le domaine du contentieux. Les domaines auxquels il s’intéresse plus particulièrement sont le droit de la construction, le droit du travail et le droit de la famille.


Note de la rédaction

Nous tenons à remercier Me Christian Bock de nous avoir donné l’aimable autorisation de publier cette lettre ouverte sur les pages d’Expressis-Verbis. Nous constatons, avec un plaisir grandissant, que la population luxembourgeoise commence à se bouger et réfléchir et que le travail inlassable de nombreuses personnes, dont Me Bock fait partie, commence à porter ses fruits.

Afin de vous fournir un meilleur confort de lecture, Expressis-Verbis a traduit cette lettre, rédigée en langue française, vers l’anglais et l’allemand ; par contre nous précisons que seule la version originale française fait foi.


À l’issue des  nouvelles restrictions liberticides et discriminatoires légales, qu’en est-il du contrôle de constitutionnalité et de conformité aux conventions internationales ? 

Au Grand-Duché, le contrôle de la constitutionnalité des lois ainsi que de leur conformité aux conventions et traités internationaux se fait, en amont du vote par le Parlement, par le Conseil d’État qui est le « garant de la constitution ».

Un tel examen de constitutionnalité demande une analyse réelle et sérieuse, approfondie et consciencieuse de la conformité de toute restriction apportée aux libertés fondamentales aux strictes conditions prévues par le constituant ainsi que les textes internationaux. Une telle analyse approfondie a, tout au long de cette crise sanitaire qui dure plus de 18 mois, fait défaut. Nécessité, adéquation et proportionnalité des restrictions ont été présumées et des postulats ont été repris sans examen substantiel.

Un élément explicatif probable de cette carence frappante est sans doute le fait que le Conseil d’État n’ait pas disposé d’un délai raisonnable afin de rendre un avis basé sur des recherches approfondies et fastidieuses et des réflexions multidimensionnelles et qu’il fut bousillé par un laps de temps quasi inexistant lui laissé par le gouvernement.

Un contrôle en aval par la Cour constitutionnelle ou la Cour Européenne des Droits de l’Homme s’avère complexe, pour ne pas dire impossible, alors que dans le cadre de la matière en l’espèce, à savoir les modifications apportées à la loi Covid qui s’enfilent depuis juillet 2020, les dispositions légales auront évolué à de maintes reprises avant qu’une décision judiciaire définitive ne soit prise.

Ayant pris les devants, une équipe de juristes, dont moi-même, s’est rassemblée et s’est investie dans une recherche juridique approfondie et a rédigé un avis juridique (trouvable en son intégralité à la fin de cet article) portant sur une analyse détaillée quant à la conformité des restrictions prévues par le nouveau projet de loi avec les conditions imposées par les différentes dispositions de textes supérieurs. Cette analyse a inéluctablement conduit à la conclusion que lesdites restrictions ne satisfont à aucun des critères constitutionnels et de droit international et s’avèrent, dans leur intégralité, illégitimes.

Alors que déjà les restrictions liberticides en soi ne satisfont, d’après notre analyse du stade actuel de la crise sanitaire, à aucun des critères de constitutionnalité, la différence de traitement entre personnes vaccinées et non-vaccinées contre le covid-19 envisagée par le gouvernement dans son projet de loi récent se heurte contre une norme constitutionnelle supplémentaire, à savoir le principe d’égalité et de non-discrimination consacrés par la constitution luxembourgeoise respectivement des conventions supranationales.

Les mesures ne procèdent pas de disparités objectives, rationnellement justifiées et ne satisfont nullement à des exigences d’adéquation et de proportionnalité par rapport au but visé.

Le Premier Ministre a répété lors de son discours tenu dans le cadre de la conférence de presse qui a eu lieu après le dépôt dudit projet de loi que le but recherché consiste dans la préservation de la santé publique. Or, avec un regard sur les chiffres officiels concernant le nombre de personnes actuellement en soins intensifs – 3 personnes ! – ainsi que ceux concernant les lits hospitaliers occupés par les patients atteint du Covid-19 – moins de 1% – il va sans dire que le but réellement visé ne peut être la prétendue préservation de nos centres hôpitaux.

De même, non seulement les chiffres ne montrent pas de nécessité pour de nouvelles restrictions, ils montrent surtout qu’une discrimination sur base du statut vaccinal n’est aucunement appropriée pour atteindre ce but lié à la santé publique. La totalité des cas positifs est touchée par le variant Delta contre lequel les vaccins se montrent, tel que souligné dans l’exposé des motifs du projet de loi, « moins efficace » – tant au niveau de la protection de groupe que celui de la protection personnelle. Il s’y ajoute que 70% des cas positifs sont, selon les chiffres du Ministère de la Santé, des personnes vaccinées et qu’une grande partie des personnes hospitalisées est « immunisée ». Il faut dès lors se poser la question à savoir ce qui pourrait justifier le fait que des personnes vaccinées potentiellement contagieuses peuvent accéder à des fêtes, des cinémas ou même des cantines publiques sans apporter la preuve d’une absence d’infection tandis les personnes non-vaccinées sont obligées de livrer ladite preuve par un test payant alors qu’ils risqueront d’être infectés par les vaccinés contagieux mais non testés ? Il nous semble ici avoir un réel problème de cohérence et de logique.

Le but véritable est dévoilé lors de la conférence de presse : atteindre un taux de vaccination déterminé (de manière totalement hasardeuse) pour pouvoir mettre une fin aux mesures liberticides. Les mesures liberticides et discriminatoires de surplus s’inscrivent finalement dans une finalité purement politique et non dans un but légitime lié à la santé publique. Instaurer une obligation vaccinale indirecte afin de créer un prétexte pour la politique de revenir sur ses propres décisions liberticides n’est pas un but légitime.

Quand il s’agit de libertés fondamentales, le citoyen doit pouvoir s’attendre un travail législatif sérieux, respectueux des valeurs constitutionnelles, et non un travail médiocre et précipité. Les représentants à la Chambre des Députés, même si ralliés à un parti politique, ne doivent pas oublier qu’ils représentent le peuple et les intérêts de celui-ci exclusivement.

L’avis juridique en question qui a été soutenu par le groupement F.A.I.R. Beweegung auquel se sont joints presque de 300 fonctionnaires et employés publics qui se sont mobilisés suite à l’annonce du Covid-Check généralisé.

Cet avis a été communiqué :

  • à S.A.R. le Grand-Duc
  • aux Mesdames et Messieurs les députés de la Chambre des Députés ;
  • au Conseil d’Etat ;
  • aux chambres professionnelles ;
  • aux syndicats nationaux ;
  • à la Commission consultative des droits de l’homme ;
  • à la Ombudsfraa Madame Claudia MONTI ;
  • au Ombudsmann fir Kanner a Jugendlecher ;

Christian BOCK

Voici un avis juridique de la part de Me Bock, pour téléchargement :