Science et conspirations
Mises en question
Une écrivaine allemande nous livre ses souvenirs d’enfance à l’école primaire. Elle avait des problèmes avec un religieux qui vivait dans un monde de réponses, tandis que notre auteure, encore enfant, vivait dans un monde de questions, du genre: „Pourquoi y a-t-il une guerre?“ Réponse: „Hélas, la guerre existe!“ „Est-ce que Dieu ne peut pas supprimer la guerre?“ Réponse: „Tous les hommes sont des pécheurs!“ „Pourquoi Dieu a-t-il fait le péché?“ „Le péché existe parce que Ève a croqué la pomme.“ „Mais Ève était telle que Dieu l’avait créée.“ „Si tu n’arrêtes pas tes questions, je te mets dehors!“ „Dieu veut-il la guerre?“ „Dehors!!“ C’est ainsi que se terminait plus d’une fois la curiosité de la jeune fille. Dans le monde des adultes de nos jours, les questions ne manquent pas non plus, avec des réponses parfois toutes faites et peu profondes. „C’est quoi, un État de droit ?“ Un État où chacun aura son droit.“ „Pourquoi n’avons-nous pas d’argent ?“ „Parce que l’État social coûte trop cher.“ etc, ou à peu près.
Réponses
Nous avons l’impression de vivre à nouveau dans une période où il existe plus de réponses que de questions. Ou, au moins, où les questionnements ne sont pas encouragés. On peut avoir l’impression qu’à des questions fondamentales de la société humaine, des réponses toutes faites sont présentées du genre : comme nous avons des problèmes écologiques sur notre planète Terre, nous devons nous préparer pour aller habiter sur une autre planète. Le favori semble être actuellement Mars selon les grands esprits promoteurs. Autre cas d’actualité : nous constatons que la vie est limitée de par notre nature ; nous allons donc remédier à ce défaut de l’évolution et remplacer au fur et à mesure les points faibles du corps humain afin d’en prolonger la vie. Le mot magique ici est le transhumanisme. De la sorte, le citoyen moyen peut se mettre à rêver et délaisser les problèmes urgents quotidiens comme des quantités négligeables. Quelle élévation d’esprit que d’oublier ce qui nous cause problème en ce moment ici-bas et pontifier sur nos futurs exploits dans l’espace ! Pour imaginer un déménagement d’une partie des Terriens sur une autre planète, il est urgent p. ex. de ne pas tenir compte des lois de la thermodynamique, mais ce n’est qu’un détail. Pour la solution du transhumanisme, il faut faire le choix entre un modèle du monde humaniste ou technocratique, les deux s’excluant mutuellement. En soulignant que ces projets ne proviennent pas d’assemblées démocratiques, mais des cercles très limités des gens les plus riches, nous approchons-nous déjà de la zone du conspirationnisme ? Qui sait ? Cela dépend de qui définit ce qu’est le conspirationnisme et comment il faut l’aborder.
Philosophie
Selon le philosophe belge Michel Weber (1963 -), la tâche du philosophe est, dans sa simplicité, très problématique, du fait que nous sommes tombés si bas qu’affirmer l’évidence est devenu le premier devoir des intellectuels. Orwell l’écrivait déjà en 1939. Il ne s’agit pas de ferrailler avec les experts. L’idéal démocratique exige de chacun de s’exprimer librement et de manière argumentée sur toutes les questions politiques, même les plus apparemment labyrinthiques. Ressusciter le sens commun demande la revitalisation du tissu social et de tous ses organes. On pourrait avoir l’impression que nous sommes en train de faire exactement le contraire actuellement. Selon Weber, mais il est loin d’être le seul, le monde universitaire, et plus particulièrement estudiantin, qui s’est longtemps distingué par sa capacité de faire dissensus, s’est dernièrement largement noyé dans le conformisme le plus abject. Il faut dire que le monde universitaire a été forcé dans cette situation en le rendant dépendant de financements non publics, c. à d. privés, suite aux réductions budgétaires par les gouvernements respectifs. Cette mise au pas du monde universitaire date depuis longtemps. L’auteur de ces lignes se souvient d’avoir participé, en tant qu’étudiant, à de grandes manifestations de rue contre ces coupes budgétaires qui annonçaient l’abandon d’une partie de l’indépendance universitaire. C’était en 1975-76 à Liège ; cela fait 45 ans ! Aujourd’hui, nous sommes arrivés au stade où des organisations internationales, comme p. ex. l’Organisation mondiale de la Santé, sont financées à seulement 20 % par de l’argent public. Pour le reste, allez voir chez le privé ! Qui finance évidemment selon ses intérêts.
Et, malgré cette situation inquiétante de la science, des gouvernants trouvent commode de prendre des décisions politiques qu’ils justifient en se référant à la Science, avec grand S, s’il vous plaît. En oubliant que gouverner en démocratie est un métier politique et non pas scientifique. En effet, les essais de gouverner sur bases strictement scientifiques ont échoué dans le passé en laissant des souvenirs amers. Il est utile ici de rappeler que la science n’est pas un dogme, notion à laquelle beaucoup d’humains se sont habitués durant des siècles. Les sciences, à la limite, peuvent toujours être mises en question. Une thèse scientifique ne peut pas être prouvée vraie définitivement ; mais elle peut être prouvée fausse si des faits sont contraires à la thèse établie. C’est ce qu’affirme le philosophe Karl Popper avec son critère de falsifiabilité. Le progrès scientifique n’est pas constitué d’une accumulation d’observations, mais au contraire par „l’élimination réitérée de théories scientifiques, remplacées par des théories meilleures ou plus satisfaisantes“. Le cœur de la vision popperienne de la science est l’erreur, le doute permanent, l’erreur jamais occultée, toujours recherchée, toujours rectifiée. Une définition (partielle) que donne lui-même Popper de la science est la suivante : c’est une activité que l’on peut considérer comme une „démarche dont le caractère rationnel tient au fait que nous tirons la leçon de nos erreurs“.
Science
Il doit donc être permis de mettre en question des théories scientifiques, tout comme des résultats de recherche dite scientifique. Censurer les avis contraires est un signe de faiblesse, un aveu d’échec. Le passé a montré que des chercheurs trop ambitieux ont traficoté leurs résultats. Le passé a montré également que des groupes industriels ont saboté les recherches en payant des scientifiques pour semer le doute sur p. ex. la nocivité des fibres d’amiante ciment, du tabac, de certains pesticides, tous des produits cancérigènes. Le doute a été cultivé délibérément pendant près d’un siècle pour l’amiante ciment et pour le tabac. Faut-il s’étonner que des gens voient des conspirations, même derrière des activités de recherche quand elles sont financées par ceux qui profitent des résultats? Le scandale des moteurs diesel, traficotés mais ayant passé tous les contrôles de qualité, n’est qu’un autre exemple plus récent dans cette catégorie.
Secrets
Les choses se compliquent quand nous quittons les domaines familiers du quotidien comme la voiture diesel, le tabac ou les pesticides. Il existe, en effet, des programmes de recherche civils et militaires qui souvent sont secrets (c’est une particularité des militaires !), notamment dans le domaine dit des NBIC (nanotechnologie, biotechnologie, informatique, sciences cognitives). C’est en 2002 qu’a été évoqué pour la première fois le concept de convergence des domaines technologiques NBIC dans un rapport de près de 500 pages édité par le National Science Foundation (NSF) américaine. Détaillé et argumenté, le rapport se félicitait alors du nécessaire rapprochement des connaissances scientifiques dans les domaines NBIC et il donnait la tonalité des différents programmes de R&D (recherche et développement) civils et militaires qui ont été menés depuis.
La dynamique de cette convergence peut être résumée par un schéma qui fait apparaître que quand les nanotechnologies manipulent les atomes, les biotechnologies s’appliquent aux gènes, l’informatique s’appuie sur les bits et les sciences cognitives sur les neurones biologiques.
Conspirations?
Comme le commun des mortels n’est certainement pas informé régulièrement et dans le détail des progrès de ces programmes, il ne faut pas s’étonner que des gens se posent des questions sans qu’ils soient pour cela des adeptes de théories de conspiration. Surtout que le monde entier a été mis en garde devant les activités du complexe militaro-industriel par un des meilleurs experts en la matière, le président américain Dwight Eisenhower, dans son discours de départ de la présidence en 1961. Il serait osé d’accuser Eisenhower d’être un vulgaire conspirationniste.
Ce qui inquiète beaucoup de gens informés, c’est cette poussée effrénée vers le transhumanisme par quelques rares individus hyper-riches et dont le seul souci est de repousser leur moment de quitter la vie. Et pour avancer dans cette voie, ils ont besoin de pouvoir, de pouvoir énorme qui leur permet d’influencer les décisions politiques. Ce pouvoir peut être acquis grâce à du lobbying (le mot corruption est mal vu) et à la réorganisation des structures qui permettent d’organiser la vie sur cette terre. Des gouvernements nationalistes ne peuvent que gêner dans cette entreprise. C’est la raison pour laquelle les structures doivent évoluer vers un gouvernement global qui n’a plus à se soucier des souhaits de telle ou telle population. Les différentes organisations, souvent des fondations bien alimentées financièrement, permettent d’orienter les secteurs de la recherche dans la direction souhaitée. Il va de soi que les médias sous influence jouent un rôle majeur pour assurer la diffusion des idées appropriées, y compris en ayant recours aux modifications du sens des mots utilisés (phénomène décrit par le philologue Victor Klemperer). Quoi faire alors, pour éviter les déviations les plus nocives pour la grande majorité des humains ? Certains pensent qu’il faille d’urgence déterminer et imposer un cadre de valeurs permettant d’anticiper et de trier à la fois les pistes de recherches et leurs applications, pour en réfréner toute la démesure, en couper tous les liens non seulement avec la guerre des humains entre eux, mais aussi avec la guerre des humains contre le vivant; et engager l’humanité vers la diminution consentie de l’effort global de recherche et des inégalités.
Et, à propos de conspirationnisme, il y a lieu de croire que le plus grand danger émane encore des gens qui persistent à nier l’existence de conspirations dans nos sociétés humaines.